L'EntreNet

De Forum des Usages Coopératifs

Présentation du concept par Hubert Guillaud, Fing, Internet Actu.


1. L'EntreNet est un concept, incertain et assumé comme tel, une intuition, imaginée par Daniel Kaplan, délégué général de la Fondation internet nouvelle génération. Il désigne un ensemble de pratiques individuelles, d'expériences, outillées pour le partage et qui produisent de manière plus ou moins subreptice des effets collectifs. ... “cet univers de pratiques individuelles mais pas privées, collectives sans intention ni but particulier, publiques sans y penser, communautaires sans communauté bien définie"…


2. Pour comprendre ce concept, il faut essayer de catégoriser les pratiques dont on parle. Que partage-t-on ? Comment ? c'est-à-dire avec quels outils ? avec qui ? Un univers de pratiques hétérogènes.


3. Je crois qu'il est important de rappeler qu'on partage des émotions, des indignations (des choses qui nous touchent, nous font rire ou pleurer...) avant toute chose... qui se propagent, se transforment, s'emballent, jusqu'à devenir parfois des phénomènes planétaires ici, alors qu'ils restent, ailleurs, échangé seulement entre quelques uns. Les deux exemples que l'on pourrait prendre pourraient être le phénomène Star Wars Kid, cette histoire d'un gamin enregistré à son insu en train de se prendre pour un chevalier jedi et dont la vidéo, mixé et remixé a fait le tour de la planète, ou l'espace de photo personnel et fermé dont on autorise l'accès qu'à quelques proches.


http://www.openfing.org/ref/forumusages/entrenet03.png Exemple d'émotions exprimées et de phénomènes d'aggrégations qui ont lieu autour.


Que la forme de cette expression soit textuelle, sonore, vidéo ou photographique, on commence par raconter, saisir, capter, exprimer, parler de soi, de ce que l'on voit, de ce qui nous arrive. On raconte, qu'importe si on ne sait pas forcément à qui cela s'adresse : on s'exprime et on publie. "On partage". On met en commun...

De cette double action en une, émerge, qu'ils soient spontanné ou non, des espaces communs.

Le sens se produit par une agrégation a postériori plutôt que par par une véritable coopération. Comme c'est le cas avec les photos publiés sur FlickR lors de l'ouragan Katrina ou des gens qui sont allé dire "ma maison était là" ou qu'ils se sont réfugiés ici et qu'ils sont vivants" sur Google Maps... Comme c'est aussi le cas avec les systèmes de tags qui agrègent tous les billets des blogs qui évoquent un même sujet.


4. Qu'est-ce qu'on publie ? Son profil, comme c'est le cas sur les 50 millions de comptes de MySpace ou sur les 4 millions de Skyblogs. Quitte à résumer tout le message à un simple portrait d'ailleurs. C'est ce qu'on dit qu'on est. Ceux qu'on aime. Ce qu'on fait - et beaucoup ce qu'on écoute aussi. Encore une fois, le sens émerge par l'évaluation a postériori, entre pairs, entre participants... et par le jeu entre ce qui est public et ce qui est privé.

http://www.openfing.org/ref/forumusages/entrenet04.png Exemple de profils et d'éléments mis en partage sur MySpace et Skyblog.


5. Qu'est-ce qu'on partage ? Tout et n'importe quoi. Les informations qu'on lit, les pages sur lesquelles on navigue, les vidéos qu'on regarde, les photos qu'on apprécie... les discussions (ou les engueulades) que l'on a.

http://www.openfing.org/ref/forumusages/entrenet05.png Autres exemples d'éléments partagés


6. Comme le montre cet exemple d'un blogueur emblématique Loïc Le Meur, le blog n'est pas seulement un outil de publication de contenu... Mais c'est avant tout un outil qui place des contenus proposés à la duplication au centre d'un maillage de liens (commentaires, trackbacks, outils d'agrégation et de republication...).

http://www.openfing.org/ref/forumusages/entrenet06.png Les différentes facettes de Loïc Le Meur

Observons un moment ces captures d'écran très parlantes. A droite, son profil, démultiplié par un tissu de liens vers d'autres outils qu'il utilise. A gauche, des outils de republication et de réplication. Le badge Flickr de ses propres photos et la page FlickR de toutes les photos où il apparaît, provenant de dizaines d'internautes différents. Son technorati, c'est-à-dire, le moteur qui surveille les derniers billets de blogs qui ont fait un lien vers le sien et lui permettent d'être au courant de ce que les autres blogueurs disent de lui et d'y réagir le cas échéant. Sans compter les résultats de Google, qui donnent de lui une multiplicité d'image et de citations encore différentes...

Penser, écrire, publier et faire circuler ne sont plus (ici) des actes très différents. Et l’on passe ainsi de proche en proche, par dessein ou par sérendipité (heureuses rencontres de hasard) de la petite pensée à l’opinion discutée, de l’expérience individuelle à la “nouvelle”… jusqu’à voir se produire de véritables phénomènes d’”émergence”, dans lesquels le produit de petits actes individuels prend un sens très différent de la somme des parties.


7. Bon, revenons à l'Entrenet. Et essayons maintenant d'en faire une définition... C'est un espace d'outils et de pratiques entre la communication interpersonnelle (de un à un, entre deux personnes) et entre la communauté et la coopération. On l'a vu, ces agrégations ne sont pas vraiment de l'action collective, ou alors à posteriori. D'un autre côté, on est loin d'une diffusion de type broadcast, médiatique, top-down, c'est-à-dire du haut vers le bas... Ce n'est pas une personne qui diffuse vers plusieurs ou pas seulement. Mais on n'est pas non plus dans une participation de type bottom-up, du bas vers le haut : parce qu'il n'y a pas de collectif à la base ! L'action collective se fait par le biais.

http://www.openfing.org/ref/forumusages/entrenet07.png L'EntreNet

C'est entre les angles de cet espace que se regroupent les regroupent les outils, les pratiques de ce qu'on appelle parfois le web 2.0. Il faudrait préciser d'ailleurs que l'Entrenet ne recouvre pas le concept de web 2.0, parce qu'il s'étend aussi à des pratiques qui ne sont pas uniquement web comme le P2P ou la messagerie instantannée ou les réseaux sociaux sur mobile. Et dans la définition du web 2.0, il y a des choses qui n'entrent pas dans l'entrenet comme la personnalisation du web à l'oeuvre par exemple avec Ajax et des services du type Netvibes.


8. Retenons que les pratiques que nous avons décrits : - se situent entre les pôles traditionnels - brouillent les distinctions public/privé : on a pu le voir notamment avec ces affaires de skyblogs d'adolescents qui publiaient des photos ou des commentaires ironiques sur leurs profs pour faire rire leurs copains sur leurs blogs, et qui se sont retrouvé faire la une de la presse... - sont des initiatives individuelles, micro-sociales - sont disséminées et passent à l ’échelle par agrégation - sont sans intentions ou buts sociaux clairs et explicites (on enregistre pour enregistrer, on partage quand même ; on montre et on regarde...) - mais ne sont pas sans effets : visibilité du « bourdonnement » dont parle Kevin Kelly et Jaron Lanier.


9. La question que l'on peut se poser est de savoir s'il y a des seuils de pratiques dans ces pratiques justement. Ross Mayfield, un des gourous des réseaux sociaux a commit il y a peu cet intéressant graphique qui montre "la loi de pouvoir de la participation". Selon les actions que l'on fait (lire n'a pas la même portée que bookmarker, que tagger, que commenter, que télécharger ou écrire), on participe plus ou moins. On s'implique différemment. Et on passe de l'intelligence collective à l'intelligence collaborative selon la hauteur et la qualité de son engagement.


http://www.openfing.org/ref/forumusages/entrenet08.png Les seuils de pratiques

10. Retenons deux choses pour comprendre ces pratiques, deux choses de ce que nous disait Dominique Cardon, chercheur à France Télécom R&D lors de l'université de printemps de la Fing consacrée à ce sujet.

Notre visibilité en ligne représente notre potentiel relationnel. Plus on est visible, sur une multitude toujours plus grande d'outils et de réseaux (comme Loïc Le Meur), plus cela va être générateur d'échanges, de liens sociaux, etc.

L’imperfection des outils dessine un espace public en clair-obscur qui - heureusement - permet la diversité des pratiques et des engagements. C'est-à-dire que le fait que ces outils soient inclattés, pas si facilement interopérables, manquent de fonctionnalités... C'est le cas par exemple des commentaires sur les blogs, qui connaissent aujourd'hui de nombreuses limites techniques : spams, trolls (publication de messages sans rapport avec le sujet initial et/ou insultants), fragmentation de la fréquentation (qui fait que les conversations redémarrent d’un blog à l’autre, sans pouvoir être suivies), absence de système d’identification et de réputation (qui permetteraient d'ordonner les classification ou de valider les commentaires : tout le monde répondant de ses propos), difficulté à s’abonner aux commentaires relatifs à un billet ou un sujet, incompatibilité des formats, absence de follow-up, c’est-à-dire de suivi des sujets dans l’ordre de la conversation et non dans l’ordre d’arrivée des messages…

Tout cela dessine un espace public en clair-obscur donc, facile d'accès et en même temps compliqué. Comment aujourd'hui retrouvez-vous un billet publié il y a environ deux ans sur un sujet particulier ?... Comment retrouver un commentaire sur un sujet particulier on vient de le voir... En même temps, cette imprécision des outils est peut-être une force qui permet aux gens de prendre la parole, de se saisir de ceux-ci facilement pour s'exprimer. Finalement, l'important aujourd'hui, c'est cette conversation temps réel qui apparaît sur l'internet, dont on peut mesurer les pulsations, participer ou pas. Et on voit bien que les outils comme les pratiques, aujourd'hui, ont pour objet de faciliter ces échanges là.