Contrib:Changer d'organisations pour changer le monde

De Forum des Usages Coopératifs

Forum des usages, édition 2018

une contribution de Gay Frédéric

Description du projet

Pourquoi vouloir changer le monde ?

Tout simplement parce que je suis convaincu qu’il pourrait aller bien mieux, et que les responsabilités des humains dans cette situation sont de plus en plus évidentes, au point que certains parlent d’Anthropocène (https://fr.wikipedia.org/wiki/Anthropoc%C3%A8ne ) pour décrire cette période de la terre. Soyons clair, il ne s’agit pas de changer la nature qui se débrouille très bien toute seule, mais les nombreux humains qui ne cessent de dégrader les conditions de vie sur la terre, notre maison commune.

Comment changer le monde ?

Tout le monde ou presque connaît la citation de Ghandi “Soyez le changement que vous voulez voir sur dans le monde”. C’est une de mes devises “boussoles”. Ainsi, je m’intéresse aux organisations, et en particulier pour savoir si elles soutiennent un changement positif de leurs parties prenantes, voire de leur environnement, et comment elles y arrivent. En effet, si je reste convaincu que le changement constructif ne peut se réaliser qu’avec l’engagement de l’individu, je suis aussi persuadé que les organisations peuvent justement favoriser ou freiner cet engagement.

La leçon des entreprises “libérées”

Depuis une vingtaine d’années, je suis investi dans le co-développement d’associations, d’entreprises, de coopératives. J’ai souvent été très frustré par leur manque d’efficacité, de souplesse, de créativité. Elles demandent souvent beaucoup d’énergie et de temps pour un impact positif assez faible, voire parfois négatif, sur la santé, le développement personnel et professionnel des salariés et des bénévoles. Et ce n’est pas une question de taille !

Finalement les organisations qui m’ont semblé les plus efficaces et bienfaisantes ressemblent beaucoup à ces entreprises dites libérées (Isaac Getz), Opales (Frédéric Laloux) ou humanistes (Michel Hervé).

Elles partagent un objectif commun. C’est la performance des personnes et des équipes, condition de la performance économique sur du long terme. Elles ont aussi une “démarche” commune : créer des conditions pour que chaque acteur puisse exprimer le meilleur de lui-même au service des objectifs de l’organisation. La principale condition pour que cela soit possible est l’autonomie de ces acteurs, dans le sens étymologique, de capacité à pouvoir fixer ses propres objectifs ; et donc aussi de choisir les moyens. La conséquence organisationnelle de ce principe est la décentralisation radicale ou la mise en pratique du principe de subsidiarité. Ainsi, une décision ne devra jamais être prise à un niveau supérieur, qu’il s’agisse d’une personne ou d’un groupe, si elle peut être prise à un niveau inférieur. Il existe alors de nombreuses pratiques pour justement créer des conditions afin qu’un maximum de décisions soient prises par les acteurs seuls, voire dans des petites unités opérationnelles de proximité. Ce principe permet donc de favoriser la liberté et la responsabilité des acteurs, mais aussi de limiter les prises de décisions en groupe et/ou par des personnes éloignées des besoins et des contraintes du terrain, car ces décisions sont sources d’erreurs et de surtout de conflits ou de désengagement.

Les défis des associations et des coopératives

Ne connaissant que peu d’associations ou de coopératives qui mettent réellement ce principe en pratique, je me suis longtemps demandé pourquoi. Il faut bien avouer qu’il existe aussi très peu d’entreprises s’inspirant de ces modèles.

Je pense que cela s’explique d’abord par une raison “culturelle”. La culture dominante est plutôt du type centralisation / commande / contrôle que décentralisation / responsabilité / confiance. Ainsi sans un effort conscient et consistant, les organisations se centralisent “naturellement” ; Ceci d’autant plus que les statuts et le cadre juridique les encouragent dans ce sens ; qu’il s’agisse de la subordination liée au droit du travail ou des statuts types qui donnent potentiellement du pouvoir aux organes de direction. Alors si ces dirigeants élus ou actionnaires n’ont pas une forte volonté de décentralisation, l’organisation aura tendance à être plutôt centralisée. Cela aura pour conséquence de créer des organisations pyramidales qui peuvent être efficaces dans des environnements assez stables, mais qui ne sont pas très favorables au développement personnel et professionnel de leurs acteurs, surtout dans une perspective d’apprendre à coopérer plus qu’à dominer.

Si, comme c’est le cas dans de nombreuses associations ou coopératives, la direction est assurée par des bénévoles qui n’ont pas forcément les compétences et le temps nécessaires pour bien diriger, l’organisation va se rajouter un nouveau défi. Puis, si elles souhaitent impliquer toutes les parties prenantes dans la gouvernance, elle se rajoute une noble ambition mais aussi une nouvelle difficulté pour concilier participation, liberté et efficacité.

Or si l’on espère que des organisations puissent contribuer à l’amélioration de la société, il faut qu’elles soient plus performantes que celles qui contribuent à sa dégradation.

“Si vous souhaitez changer un système, ne luttez pas contre, rendez-le obsolète” Richard Buckminster Füller

Des organisations montrent la voie

Les entreprises dites libérées ne sont pas les seules à pratiquer cette décentralisation radicale et à avoir des performances économiques et sociales hors normes. J’ai retrouvé ce principe organisationnel dans des organisations à finalité sociétale comme  :

.le développement et l’usage des logiciels libres, comme Enspiral : https://handbook.enspiral.com/

.la gestion des biens communs, comme les licences Creative Commons .des territoires avec les pratiques de démocratie directe ou de démocratie liquide : https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mocratie_liquide .des coopératives d’activités comme Coopaname : http://www.coopaname.coop/ .des tiers lieux : http://tiers-lieux.org/ .des formats d’animation comme le forum ouvert : https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9thodologie_Forum_Ouvert et plus globalement les “Open Space Technology” : https://en.wikipedia.org/wiki/Open_Space_Technology

.des méthodes de gestion de projet, comme Dragon Dreaming : https://revedudragon.org/, les méthodes agiles : https://fr.wikipedia.org/wiki/Manifeste_agile

.des méthodes de gestion d’organisation comme la stigmergie  : http://www.lilianricaud.com/travail-en-reseau/la-stigmergie-un-nouvelle-modele-de-gouvernance-collaborative/

.des méthodes d’animation de communauté : http://cornu.viabloga.com/

L’internet lui même est bien sûr une de ces organisations plus proche du réseau que de la pyramide.

En voyant que ce nouveau mode d'organisation concerne de nombreux acteurs et secteurs de la société, je pesne que nous sommes en train de vivre une une sorte de révolution silencieuse, et que l'essentiel est d'en prendre conscience, d'en comprendre l'essence, pour la soutenir et l'amplifier. Le succès du livre de Frédéric Laloux, Reinventing Organizations est une bonne illustration de ce phénomène car son objectif est justement de repérer des points communs entre ces nouvelles organisations, et il est devenu un best-seller. Ce qui pour un livre aussi technique montre combien il était "attendu".

Comment favoriser l’émergence de ces nouvelles organisations ?

En se formant, en pratiquant, et en s’entraidant pour cela.

Selon Frédéric Laloux le seul point commun à toutes les organisations qu’il a analysées, c’est l’ouverture pour ne pas dire la passion du dirigeant principal pour cette nouvelle façon d’être et de faire. Hors comme il existe assez peu de dirigeant(e)s d’entreprises avec ces valeurs et ces capacités, il faut que ceux qui se sentent attirés par ce type d’organisation deviennent des entrepreneurs, même à toute petite échelle, même sans modèle économique pour commencer.

Il est intéressant et utile de se former à ces différentes approches et outils, mais pour que cela fonctionne vraiment, selon mon expérience, il faut que toute l’organisation soit progressivement mise en cohérence avec cette intention, que ce soit par sa raison d’être, sa structure, son animation ou sa culture.

Le premier frein à l’émergence de ces organisations est la personnalité de chacun d’entre-nous : notre vision du monde, nos habitudes, nos peurs … Il y a donc besoin d’un travail régulier et profond sur notre façon d’être au monde dans et hors de l’entreprise.

L’existence de groupes d’entraide et de co-développement que ce soit sur les savoir-être ou les savoir-faire est un levier essentiel pour accélérer ce changement qui demande des efforts, des remises en cause, des sacrifices, de la persévérance, du discernement et beaucoup de confiance en soi, et bien au-delà.

Le numérique et l’internet ont bien entendu un rôle essentiel pour catalyser cette évolution. Ils peuvent nous aider à créer plus facilement ces organisations décentralisées, à faire vivre des liens entre ces organisations et entre leurs acteurs.


Conclusion

En observant et contribuant à ces organisations, je pense, comme Frédéric Laloux, que nous sommes dans une période d’évolution des mentalités qui permet de concevoir et de faire vivre des nouvelles organisations. Je crois aussi que ces organisations pourraient aider les humains à éviter “la sortie de route”. Comme insiste beaucoup John Croft, fondateur de la méthode Dragon Dreaming, nous avons besoin de nouvelles structures pour soutenir et déployer l’émergence d’une nouvelle culture “win, win, win”. Leurs activités sont alors conçues et mises en place pour que les acteurs, les communautés et la terre puisse tous y gagner.

Nous ne pouvons pas résoudre les problèmes avec les modes de pensées qui les ont créés” Albert Einstein

Ressources