Contrib:Ti Coop - Supermarché Coopératif à Brest

De Forum des Usages Coopératifs

Forum des usages, édition 2018

une contribution de Abanda Léonard

Présentation

I. L'émergence d'un concept

Genèse

En 1973, à New-York voit le jour le premier supermarché coopératif et participatif : la Park Slope Food Coop. Près de quarante-cinq ans plus tard, alors que le supermarché de Brooklyn compte désormais 17 000 coopératrices et coopérateurs, s'ouvre en février 2017 dans le 18ème arrondissement de Paris un espace sur le même modèle : La Louve. Une trentaine de projets de création de tels supermarchés sont actuellement en cours en France et à l'étranger, de Strasbourg à Brest.

Ce succès est dû aux attraits d’un modèle de supermarché innovant. Le principe de base est que les clients soient également bénévoles au sein de la structure. En donnant de leur temps libre – 3 à 4 heures toutes les 4 semaines environ – le supermarché peut fonctionner avec un nombre de salarié·e·s minimum et donc réduire ses frais. Pour devenir adhérent·e·s, les coopérateurs et coopératrices prennent part au capital de l’entreprise – le plus souvent une coopérative – et deviennent donc co-propriétaires. Les bénévoles assurent les tâches nécessaires au bon fonctionnement du supermarché (tenir la caisse, réceptionner les livraisons, approvisionner les rayons, assurer les tâches administratives) et travaillent en complémentarité avec quelques salarié·e·s indispensables pour les tâches plus techniques qui demandent beaucoup de temps (comptabilité, achat...).

Cette organisation a de nombreux avantages :

  • Réduction du prix de vente et donc accessibilité aux personnes dans le besoin
  • Une marge de manœuvre qui permet de rémunérer les producteurs (locaux) de manière plus équitable
  • L’appropriation du projet par les coopérateurs et coopératrices qui forment une réelle communauté
  • Avoir le choix des produits mis en vente et de leurs qualités socio-écologiques
  • L’expérimentation d’une structure démocratique

Projet société, projet de territoire

C’est donc un autre modèle économique, une autre façon de répondre au besoin le plus élémentaire – se nourrir – qui émerge par les supermarchés coopératifs, en résonance avec les aspirations et problématiques contemporaines. Le projet est l’occasion de tester un micro projet de société, les valeurs intégrées par le collectif prennent en compte les dimensions sociales, économiques, écologiques et démocratiques. L’initiative s’inscrit également en général dans une logique de territoire, en cherchant à favoriser et valoriser les circuits courts, soutenir les filières locales de qualité, en rapprochant les lieux de production et de consommation. Cependant les produits proposés à la vente ne sont pas tous forcément issus de circuits locaux, ils peuvent également y avoir des produits de grande consommation plus courants dans les étalages, cela dépend des choix opérés par les différentes structures. Tous les supermarchés placent le curseur plus ou moins loin sur ces différentes valeurs, le principe de base partagé par tous étant celui du client-coopérateur. Ils participent tous, en complémentarité avec les autres alternatives, à faire la transition vers une société plus juste, plus respectueuse des humains, des autres animaux et de la nature.

II. A Brest, où en est-on ?

Un groupe de jeunes (dont Gwendal et Flavie) a initié le projet en organisant une première réunion publique le 31 janvier 2018 à laquelle ont participé une centaine de personnes. Face au succès de la première réunion, une seconde a été organisée la semaine suivante, 100 personnes ont de nouveau pu y participer.

L’état d’esprit dès le départ fut de mettre tout le monde à contribution pour déterminer ce que devait être le supermarché coopératif : le challenge est de co-construire le supermarché en intelligence collective. Ainsi, suite aux réunions d’informations, des groupes de travail se sont formés sous la forme de «commissions» pour élaborer le projet. Depuis, ce sont près de 80 personnes réparties dans 7 commissions qui échangent au quotidien pour faire un supermarché à leur image. Après un vote sur les propositions faites par les sympathisant·e·s, il a été décidé que l'assocition portant le projet s'appellerait « TI COOP ».

Pour aboutir au supermarché coopératif, le collectif part sur la base d’une association – qui a pour objectif de formaliser, structurer et organiser le projet – avant de pouvoir monter la coopérative, une fois le projet « mûr ». L’AG constitutive a pris place le 9 juin 2018. La charte, la gouvernance et les statuts ont été exposés aux coopérateurs et coopératrices ainsi que leurs modalités de co-construction et validation.

III. Les valeurs au sein de Ti Coop

Les coopérateurs se retrouvent autour de valeurs communes qui forment le socle de base, l’âme du projet. Ces valeurs (engagements) sont regroupées au sein d’une charte, qui est actuellement en cours de peaufinage et de validation. Bien que le projet soit amené à évoluer avec ses membres et son temps, les adhérent·e·s s’engagent à respecter les engagements suivant (synthèse charte) :

Engagement écologique

Ti Coop s’engage à respecter l’environnement et la biodiversité de manière transversale dans son fonctionnement et ses activités.

Engagement démocratique

Ti Coop s’engage à concevoir et faire vivre un système de gouvernance juste, horizontal, qui encapacite les membres et un fonctionnement favorisant l’épanouissement de chacun·e en évitant toute possibilité d’accaparation par une minorité.

Engagement économique

Ti Coop s’engage à promouvoir un modèle économique orienté vers la satisfaction du besoin sociétal plutôt que la recherche du profit, en prenant soin de toutes ses parties prenantes.

Engagement social et solidaire

Ti Coop s’engage à permettre aux personnes exclues de se remettre en activité et de proposer un lieu d’échange et de vie chaleureux en contraste avec l’individualisme dominant.

Engagement du « bien manger »

Ti Coop s’engage à fournir des produits sains pour les humains et promouvoir un « bien manger » pour tou·te·s.

IV. L’aspect coopératif du projet

La gouvernance

La dimension collaborative fait partie de l’essence même du projet. C’est une de ses clés de voûte, tant dans les valeurs que dans le fonctionnement concret du projet à ce jour. Comme il a été dit plus haut, le projet se construit exclusivement en intelligence collective, avec quelques bases qui ont été proposées pour démarrer par les membres fondateurs. La gouvernance établie reflète l’engagement de l’horizontalité, les coopérateurs et coopératrices ont choisi une organisation sans bureau, avec un comité de coordination (Co-Coord) qui harmonise et fait le lien entre les différentes commissions. Son rôle n’est pas de prendre les décisions mais de vérifier les compatibilités des différents décisions prises par les commissions, de faire circuler les informations pertinentes aux membres concerné·e·s autant que besoin, éventuellement de gérer les conflits. Ce groupe est supposé être représentatif des commissions (2 représentant·e·s par commissions) et est composé de membres élus et tirés au sort pour une période donnée (6 mois a priori). Elle s’articule autour de trois niveaux de décisions, le niveau des commissions, le niveau inter-commissions et les décisions stratégiques (concernant l’ensemble des coopératrices et des coopérateurs).

Les commissions

Les missions des commissions sont les suivantes (descriptif non exhaustif) :

Commission Achat

Élaborer une politique d’approvisionnement. Mettre en place des valeurs et des critères afin de sélectionner les produits. Travail d’information et de transparence selon les labels. Répertorier les producteurs et fournisseurs.

Commission Impact Environnemental

Former les membres à un mode de vie sans gaspillage. Orienter l’organisation du supermarché afin d’éviter le gaspillage. S’informer sur le sujet et rencontrer les acteurs du territoire sur les pratiques déjà existantes.

Commission Financement

Prévoir la viabilité financière du projet. Prévoir un « business plan ». Évaluer les coûts d’installation, de fonctionnement. Évaluer les recettes nécessaires ainsi que d’envisager des pistes de financement et d’investissement (crowdfunding, prêts, subventions, dons).

Commission Communication

Assurer une bonne communication interne et externe. Organiser des séances de recrutement et de projection du documentaire Food Coop. Prévoir des outils de communications (bannières, flyers, site web et réseaux sociaux).

Commission Informatique

Élaborer un site web et aider les coopérateurs et coopératrices à s’approprier les outils libres (Framasoft, la plateforme Nextcloud, Mattermost, rocketchat ou encore Dolibarr et Oodo). Ces outils comprennent des listes de diffusions, un agenda, un forum et une base de données pour stocker les documents de l’association. Exemple des activités de la commission informatique cf. [[1]]

Commission Implantation

Centré sur l’installation du futur local : où, quand et comment. Comprendre le territoire de la métropole brestoise afin de s’implanter de manière stratégique et durable. Réfléchir aux enjeux de mobilité, de mixité sociale (et autres) liés à l’implantation.

Commission Fonctionnement Interne

Définir le fonctionnement démocratique de l’association, l’améliorer en continu. Diffuser une culture collaborative, des méthodes de gestion de groupe, prises de décisions, etc. Organiser des événements internes (assemblés générales, moments de convivialité…). Une commission sur la démarche d’accessibilité et d’intégration de publics défavorisés est en cours de réflexion/création.

V. Enjeux rencontrés à ce jour

Enjeux en termes de gouvernance collaborative

Méthode de prise de décision collaborative

Les prises de décision à tous les niveaux posent de vraies réflexions. Si le niveau des commissions est relativement efficace, dès que les décisions concernent plusieurs commissions voire tous les coopérateurs et toutes les coopératrices, les méthodes de réflexion et prises de décisions collectives manquent (en présentiel, par internet...). Les AG (une fois par mois a priori) sont les lieux d’intelligence collective privilégiés, mais les manières d’aboutir sur des décisions satisfaisantes et légitimes ne sont pas encore trouvées. Le collectif veut tendre vers les approches de la sociocratie, de la communication non violente et du consensus.

Communication en interne

Les outils informatiques de communication par Internet posent des questions en termes d’appropriation par les membres du collectif et d’efficience technique.

Autres enjeux

  • Maintien l’élan et la motivation de tous.
  • Le choix des produits mis en vente ou comment prioriser et faire des compromis entre les différentes valeurs.
  • L’intégration des publics non convaincus voire en difficulté sociale.

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Ressources