Inventons ensemble l'étape d'après dans la coopération

De Forum des Usages Coopératifs

Alice au pays de la coopération ouverte

Claire Rosart, Jean-Michel Cornu et les participants de l'atelier "inventons ensemble l'étape d'après dans la coopération" au forum des usages coopératifs de Brest le 5 juillet 2018

Atelier recherche : Et si des histoires nous permettaient de mieux coopérer ?

Ce conte, présenté aux participants de l'atelier, est le fruit des travaux des animateurs ainsi que de Charles Fontaine. A partir des travaux dans divers sciences dont les neurosciences et les sciences cognitives ainsi que des expériences de perceptions transformées (en particulier à la suite d'un AVC pour un des membres de l'équipe), nous avons cherché à comprendre pourquoi les solutions développées au cours des expériences réelles, des jeux et des histoires étaient mal adaptées aux risques majoritaires (le risque "d'exclusion sociale") et aboutissait le plus souvent à une impasse (même quand tout le monde souhaite coopérer, des tensions se développent). Nous avons ensuite cherché à voir comment des solutions non plus externes mais utilisant des changements de perception interne pouvaient apporter des solutions opérationnelles et comment les histoires pouvaient aider à propager ces solutions. Cet atelier est une première tentative pour tester ces hypothèses en utilisant une histoire pour faire comprendre plus aisément des concepts généralement plus difficilement accessibles (circuits courts du cerveau, dissonance cognitive, biais de négativité…).

Prologue

Il était une fois un animal un peu curieux appelé "humain". Il n'était pas très costaud, ne courait pas très vite et ne savait pas voler. Mais comme certains autres animaux, il avait un sens de la coopération très développé qui lui permettait de faire des alliances et de s'entraider pour mieux survivre.

Comme une grande partie des animaux, son cerveau lui permettait de choisir la meilleure parmi toutes les solutions dont il disposait pour agir au mieux en fonction de ce qu'il percevait du monde.

Comme beaucoup d'eux, il était capable d'utiliser les expériences de sa vie pour alimenter son cerveau avec de nouvelles solutions.

Comme quelques-uns d'entre eux (les oiseaux et les mammifères) il jouait, c’est-à-dire qu'il prenait du plaisir à simuler des situations possibles mais qui n'était pas réelles. Grâce au jeu, il pouvait se créer bien plus d'expériences avec bien moins de danger et ainsi alimenter son cerveau avec beaucoup de nouvelles solutions possibles.

Mais il semble que seul l'humain était capable de se raconter des histoires1, c’est-à-dire qu'il prenait plaisir à vivre de nouvelles expériences seulement à l'intérieur de sa tête. Cela lui permis de créer un nombre inimaginable de nouvelles expériences et donc de nouvelles solutions qu'il pourrait conserver en mémoire et utiliser par la suite pour enrichir ses choix lorsque son cerveau devrait décider comment agir2.

Il développa ensuite un langage élaboré à partir de sons et pu transmettre ses histoires aux autres. Ce fut ainsi toute l'espèce humaine qui s'enrichie de nouvelles possibilités à partir des histoires imaginées par chacun. Mais dans ce trésor de coopération et d'imagination, tapi au fond du cerveau de l'humain, se cachait un terrible dragon !

L'humain, pour préparer les difficultés qu'il pourrait rencontrer, se raconte des histoires à lui-même. De façon très souvent inconsciente, il imagine en priorité des situations dangereuses y compris avec ses pairs pour se préparer à y survivre3. Mais en plus, il s'imagine lui-même comme devant être conforme à un idéal selon ses propres principes ou encore suivant ce qu'attendent les autres de lui. L'association des deux est tragique ! Il lui arrive de réagir pour se protéger d'une menace qui n'est pas réelle, et ce faisant il se trouve en contradiction avec l'image idéale de ce qu'il voudrait être4. Cela démultiplie la tension qu'il ressentait déjà face au danger imaginé et le rend encore plus incapable de prendre le recul nécessaire pour mieux percevoir la situation réelle.

Ainsi, là où l'animal a parfois des rivalités ponctuelles, l'humain a inventé, les idées a priori, le ressentiment, la guerre… L'humain, champion de la coopération devient également le champion de la violence, parfois pour de justes raisons de se protéger quand il n'y a pas d'autres solutions, parfois par rapport à une simple situation imaginée, parfois même gratuitement.

La plupart des nouvelles solutions que l'homme a inventé pour traiter le danger sont racontées dans de nombreuses histoires5. Il peut vaincre par la ruse, par la force ou avec l'aide d'un allié providentiel. Il peut se transformer lui-même pour devenir un super héro ou en acquérant un objet pour mieux se protéger. Toutes ces solutions nous permettent de mieux combattre, fuir ou ne pas se faire remarquer -les trois solutions de base que nous a offert la nature face au risque. Mais si ce que nous souhaitons est de coopérer et d'être ouverts aux autres, et si le risque que nous percevons est d'être rejeté par les autres, alors pour ne pas être exclu, nous allons les combattre, les fuir ou nous cacher. Pas très efficace !

Le problème vient probablement que les solutions proposées s'intéressent à l'extérieur de l'homme -l'autre, un tiers ou son propre corps- mais ne semblent pas ou peu s'intéresser au "changement de perception" à l'intérieur de son propre crane. C'est pourtant une piste pour traiter à la fois la réaction à une situation extérieure -qui peut être perçue de multiple façons- mais aussi la relation entre notre réaction et nos propres valeurs.

Et si nous utilisions les histoires pour expérimenter ces nouvelles solutions qui passent par un changement de nos perceptions. Ces histoires qui nous ont permis "d'expérimenter" de multiples solutions, de nous créer des valeurs, mais aussi de surdévelopper nos tensions lorsque nous avons le sentiment que ces valeurs ne sont pas en accord avec la réaction que nous avons choisie. Pour cela, terminons là cette histoire et tentons d'en commencer une nouvelle… une nouvelle forme d'histoire, ou plutôt une histoire qui propose de nouvelles formes de solutions.

Alice et le repas des amis

Il était une fois une jeune fille prénommée Alice. Elle avait beaucoup d'amis qu'elle aimait réunir pour deviser au cours de repas. Ces moments de fête se prolongeaient même au travers de petits coups de mains que les uns ou les autres s'apportaient dans les jours qui suivaient, chacun ayant pu découvrir à l'occasion de ces échanges comment il pouvait apporter ses connaissances, ses compétences ou simplement son temps aux autres. Et justement, aujourd'hui Alice accueille dans son jardin trois de ses proches amis pour une journée où le soleil s'est également invité.

Le repas est bien avancé lorsqu'Alice annonce qu'elle doit construire un petit appentis le prochain Week-end. Pierre se tortille sur sa chaise, jusqu'à présent il n'a raté aucun de ces moments d'entraide, mais cette fois il ne peut pas. Mal à l'aise, il tente de se justifier maladroitement. "il n'y a pas de problème" annonce Alice. Mais Pierre entend surtout qu'il pourrait donc y avoir un problème, que sa non-participation pourrait être mal perçue par les autres. Il tente alors de se justifier encore plus jusqu'à ce qu'un autre convive lui dise, "tu n'as pas besoin de te justifier, il n'y a pas de soucis". Encore plus mal à l'aise qu'il ne l'était au départ, Pierre se tait, ne sachant plus comment se justifier sans se justifier. Il rêve de devenir tout petit, invisible… Aurait-il dû mieux expliquer pourquoi il ne pouvait pas être là ? Assumer le fait qu'il puisse ne pas aider à chaque fois ? Trop tard, il est devenu microscopique !

De son coté, Marie profite du silence qui s'est installé pour dire qu'elle sera là samedi prochain pour donner un coup de main à Alice, ce qui donne envie à Pierre de se faire encore plus petit, mais se lève en disant qu'elle doit partir car elle doit se lever bien avant l'aurore le lendemain. "Quel dommage, s'écria Alice, d'habitude nous terminons la journée tous ensemble !". Marie alors bredouille un aurevoir, prend ses affaires et part un peu plus précipitamment que nécessaire, avant même qu'Alice ou et ses autres amis puissent ajouter un mot. En chemin elle rumine, cherchant à réinventer ce qui s'est passé. Est-ce Alice qui n'accepte pas ses choix, aurait-elle dû au contraire s'oublier et agir comme les autres fois ? Sur le chemin du retour elle est bien triste et se sent abandonnée de ses amis.

Paul, le dernier des convives, avait assisté à ces scènes avec effroi. Leur groupe qui pourtant était soudé comme les quatre membres d'un corps ne semblait plus se comprendre. Sa tension était un peu accentuée par le bon vin qui avait été servi et bien qu'adepte de la communication non violente il dit "quel dommage qui nous en arrivions là ! je suis triste de voir notre groupe se disloquer". Alice se senti accusée mais ne voulut pas rentrer dans ce jeu. Elle lui dit d'une voie la plus douce possible "Ne t'énerve pas Paul". "Comment çà je ne m'énerve pas !" s'emporta Paul frustré de se sentir ainsi jugé alors qu'il avait tenté une réponse la plus bienveillante qu'il pouvait faire. Attisé par la frustration, la colère et l'alcool, il se mit à crier en oubliant toutes ses bases de communication non violente "Avec toi c'est toujours la même chose !". Il partit à son tour et bien qu'il sentît qu'il n'avait pas pu dire les choses comme il aurait voulu il eu du ressentiment envers Alice, Marie et Pierre qui avaient mal réagit.

Pierre qui était déjà microscopique se fit encore plus petit et Alice se retrouva seule à la table sans bien comprendre ce qui s'était passé. Durant la nuit, elle dormit fort peu. Pourquoi ce groupe d'amis qui s'aimait tant avait-il pu en arriver là. Pourtant personne ne semblait avoir voulu en arriver là. Pierre avait un simple empêchement pour le Week-end, Marie devait partir un peu plus tôt ce qui est tout à fait normal et Paul avait, au moins au début utilisé la communication non violente malgré la situation de tension. Quant à elle-même, elle avait fait tout son possible pour être la plus bienveillante possible. Elle passa la nuit à refabriquer ce qui était arrivé avec des points de vus différents. Elle commença par incriminer Marie, Pierre et Paul, puis elle s'accusa elle-même. Elle tenta de changer le comportement des autres ou de s'imaginer capable de garder la tête froide dans une telle situation pour réagir au mieux, mais elle savait bien que cela ne changerait rien la prochaine fois qu'une telle situation se présenterait. Epuisée, elle ne s'endormit qu'au petit matin.

Le lendemain, perdue et triste que toutes les solutions qu'elles ou les autres pouvaient imaginer ne leur permette pas d'être simplement heureux ensemble comme ils le souhaitaient, elle décida de partir se promener en forêt. Le temps passait et Alice était dans ses pensées. Elle ne se rendit pas compte qu'elle était allée beaucoup plus loin qu'elle n'avait jamais été. La forêt semblait se transformer. Les rayons du soleil qui traversaient les arbres avaient eux-mêmes quelque chose de magique.

Alice au cœur de la forêt magique

Les branches des arbres étaient luxuriantes, le sol était tapissé de fleurs et des animaux gambadaient ou volaient de partout sans sembler craindre la jeune fille dont la curiosité était de plus en plus aiguillonnée. A quelques pas de là, elle vit une forte lueur qui semblait se réfléchir au pied d'un arbre. Elle s'approcha et se rendit compte qu'il s'agissait d'un miroir. Elle le prit, s'y regarda et quelle ne fut sa surprise d'y voir l'image d'une Alice qui n'avait plus de peurs. Pourtant elle sentait bien qu'elle avait encore de nombreuses peurs en elle, mais c'était "un miroir qui renvoie une image comme si on n'avait pas peur" différente de celle qu'elle savait être. Intriguée elle regarda de plus près sa propre image transformée. Se rappelant les événements de la veille elle les perçu différemment au travers de cette image qui ne reflétait pourtant pas la réalité. Elle avait cherché toute la nuit la vérité sur ce qui s'était passé et voilà qu'un simple miroir qui remplaçait la réalité par une image qu'elle savait ne pas être vrai -une Alice sans peur- lui apportait de nouvelles perceptions qui lui permettent de découvrir de nouvelles solutions !

  • Quel objet étrange, dit-elle à voix haute en se parlant à elle-même, pourrais-je l'emmener avec moi ?
  • Bien sûr, répondit un écureuil, les objets que tu trouveras dans la forêt magique sont pour toi. A l'entrée de la grotte, tu trouveras un "monocle à doudou".

Alice fut toute surprise de voir un écureuil qui parle, mais avant même qu'elle puisse lui poser une question, celui-ci avait déjà disparu dans les arbres. Elle regarda alors autour d'elle et vit que le sol s'élevait pour former une falaise. A quelques encablures, elle vit une grotte comme le lui avait indiqué l'écureuil. Elle s'approcha et vit, posé dans une niche de pierre juste à l'entrée, un objet étrange. Elle cru d'abord qu'il s'agissait de lunettes, mais il n'y avait qu'un seul verre. Etait-ce ce que l'animal avait appelé "le monocle à doudou" ?

  • Mets-les, mets-les, mets-les ! cria un corbeau qui passait dans le ciel

De nouveau, avant qu'elle n'ait pu lui répondre, l'oiseau était déjà loin. Alice pris alors le monocle et l'installa sur son œil droit. Elle vit alors tous les animaux autour d'elles sous la forme de mignons doudous tous doux avec un pelage teinté de belles couleurs pastelles. Plus étonnant encore, elle commença à discerner la table autour de laquelle elle et ses amis s'étaient réunis la veille. Mais chacun d'eux apparaissaient sous la forme d'un… doudou ! Pierre était un doudou bleu, tout triste de ne pouvoir l'aider le week-end prochain et tout maladroit pour essayer de le lui dire. Les quelques mots qu'il essayait de bafouiller le rendrait tout attendrissant avec ses grands yeux ronds sur ses poils bleus aux reflets de ciel. Marie était un doudou rose qui se tortillait de façon comique car ne sachant comment dire qu'elle souhait partir pour se coucher tôt et être en forme. Paul était quant à lui un doudou rouge clair. Son petit nez était devenu rouge vif sous l'effet du bon vin et les tensions intérieures irisait son pelage rouge de petites flammes encore plus rouge dans un effet des plus comiques qui le rendait si mignon, et quand il apercevait ses tensions, le rouge lui montait aussi aux joues. Alice ne pu répondre un mot à chacun d'eux tellement tous étaient à la fois mignons et attendrissants. Elle voulut juste les prendre dans ses bras, mais quand elle tendit ceux-ci, elle s'aperçu qu'elle était elle-même un doudou jaune, toute mignonne, un peu pataude dans sa maladresse pour s'exprimer, mais si attachante. Elle retira alors le "monocle à doudou", le regarda avec étonnement tant il avait changé sa perception de ce qui, hier encore, l'avait rendu si malheureuse, et le mis dans son sac à coté du miroir qui la montrait "comme si" elle n'avait plus de peurs.

Elle continua son chemin et arriva rapidement à une clairière. Au beau milieu se trouvait une modeste maison. De la cheminée sortait une petite fumée qui allait se perdre dans le ciel. Elle s'approcha et vit qu'il y avait de l'animation à l'intérieur. Alors qu'intriguée, Alice s'était encore approchée de la fenêtre, la porte s'ouvrit, divers animaux en sortirent emportant chacun un objet avec lui. Il se dispersèrent aux quatre coins de la forêt. Sur le pas de la porte, une femme apparue :

  • Bonjour, je m'appelle Claire – dit l'inconnue- comment es-tu parvenue jusqu'ici ?

Alice bredouilla un bonjour et lui expliqua qu'elle était arrivée dans ce coin étrange de la forêt et jusqu'à cette maison alors qu'elle cherchait désespérément à comprendre pourquoi les personnes avec les meilleurs sentiments du monde en venaient à se faire du mal les uns, les autres. Même les méthodes pour mieux communiquer semblaient ne pas suffire. Elle lui raconta alors comment elle avait trouvé dans la forêt un miroir et un monocle qui n'avaient rien changé à ce qui s'était passé mais qui avaient totalement changé la perception qu'elle en avait. Elle n'avait plus de regrets, plus de jugements, simplement de l'affection et du respect pour ces êtres -dont elle faisait elle-même parti- qui essayaient tant bien que mal de vivre et de vivre ensemble.

  • Entre -dit Claire- je vois que tu as découvert quelques-uns des objets magiques que nous déposons dans la forêt. Je te présente à la magitothèque !

Les murs dans la pièce d'entrée étaient couverts de hautes étagères sur lesquels étaient déposés un bric-à-brac d'objets divers. De partout, des animaux venaient et prenaient un objet sur l'une des étagères. Pourtant, chaque fois qu'un objet était emporté pour être placé dans la forêt, il était également toujours là sur l'étagère si bien que la magitothèque était toujours aussi garnie.

  • Ces objets permettent simplement de changer la façon dont nous voyons les choses. Nous percevons le monde de façon bien transformée, au travers de nos jugements, de nos croyances et de nos peurs. Pour mieux vivre ensemble, nous essayons de changer les autres, de nous changer ou encore de faire appel à une aide extérieure. Pourtant, percevoir différemment le monde est la façon la plus simple et la plus efficace de vivre ensemble et c'est aussi la plus difficile. C'est la plus simple car il suffit de voir des doudous dans chacun pour leur pardonner leurs maladresses et même accepter les nôtres. Il suffit de se voir sans peur même si ce n'est pas vrai, pour que nos actes ne soient plus dictés par la peur mais par nos propres choix.
  • Mais dit Alice, ce n'est pas la réalité. On ne peut pas baser nos actions sur quelque chose qui n'est pas vrai !
  • Peut être que oui, ou peut être que non… Mais ce que tu perçois est-ce la réalité ? Tu agis et tu te fais des avis en fonction de ce que tu as perçu, mais ce n'est peut-être qu'une lointaine image flou et déformée de la réalité. Tu y as mis toutes tes croyances alimentées. Tu y as tes désirs et tes craintes sur ce qui pourra en résulter. Sans compter que la réalité est toujours plus complexe, plus multiple que la simple facette que nous croyons observer
  • Alors que ce soit avec ou sans objets, ce que je perçois n'est qu'une pale copie déformée de la réalité ?
  • C'est le côté le plus difficile dans l'utilisation d'objets pour changer notre façon de percevoir. Nous sommes infiniment attachés à la vérité, mais nous ne savons en percevoir qu'une vague image où nos peurs, nos croyances et nos jugements prennent bien plus le dessus que ce que nous pensons. Accepte que ni avec, ni sans les objets, tu ne perçois complètement la vérité vraie. Si tu acceptes cette simple évidence, alors chaque objet pourra t'apporter une nouvelle perception et la magie opérera. Mais viens je vais te monter l'atelier où nous fabriquons de nouveaux objets.

Claire se dirigea alors vers une petite porte coincée entre deux étagères au fond de la pièce. Alice la suivie et elles entrèrent toutes les deux dans une grande pièce remplie de tables sur lesquelles se trouvaient des objets à moitié assemblés. Un homme était debout et regardait attentivement une feuille de papier.

  • Je te présente Jean-Michel -dit Claire- ensemble nous cherchons à extraire les perceptions qui nous permettent de coopérer de façon plus ouverte et plus universelle. Il y a également Charles qui est parti pour la journée sur les cimes pour chercher de nouvelles perceptions.

Claire attira ensuite Alice vers une table dans un recoin de la pièce.

  • Je vais te monter comment créer un nouvel objet magique pour transformer notre perception. Il y a trois étapes et pour mieux te les expliquer je vais te montrer le nouvel objet magique sur lequel je travaille.
  1. La première étape consiste à prendre dans ton expérience personnelle quelque chose qui t'est arrivé. Une difficulté que tu as rencontrée et où finalement les choses se sont arrangées d'une façon telle que tu ne verras plus jamais les choses de la même façon. Une "petite expérience irréversible" comme l'appelle Laurent, un autre magicien. Dans mon cas, ça s'est passé lors d'une séance de formation que j'animais. Une des personnes avait un comportement curieux : elle rotait, elle pétait. Elle était agressive et prenait toute la place, tout en se sentant frustrée de ne pas être respectée. Bref ce n'était pas très agréable pour les autres membres du groupe qui le trouvait peu ragoutant. Après quelques essais, j'ai proposé de créer un cercle avec comme objectif non pas de tomber tous d'accord mais plutôt de coopérer et d'avoir envie pour chacun de faire un cadeau aux autres. Et la magie a opérée. Mais comment faire que les autres membres puissent à leur tour utiliser ces mêmes solutions.
  2. La deuxième étape consiste à rechercher ce qui dans ma perception a changé, ce qui a permis une "nouvelle focale". Il ne s'agit pas, comme on le fait habituellement d'extraire une méthode -comme ici la mise en cercle pour échanger tous ensemble- car ceci est plutôt la conséquence d'un changement de perception. Quelle est cette focale qui a rendu cela possible alors que j'étais moi-même inquiète et irritée par ce comportement. Après avoir cherché un temps, je me suis rendu compte que la focale qui m'avait permis de passer outre le jugement pour trouver une autre solution était tout simplement que j'étais la responsable du groupe et que je me devais de trouver une solution qui ne passe pas si possible par l'exclusion de la personne. Simplement le fait de me sentir responsable avait changé ma perception. Je n'étais plus aveuglée par mon propre jugement, mais cherchais, comme responsable, une solution qui permette à tous d'apprendre. Mieux encore, en demandant à chaque participant de percevoir la situation "comme si" il avait envie d'offrir un cadeau, la magie opérait encore. Cette deuxième étape qui cherche à nettoyer la solution des méthodes et outils utilisés ensuite, pour se focaliser sur l'identification de la perception qui a permis le reste, je l'appelle le "et si je…"
  3. La troisième étape consiste à placer cette nouvelle perception -sans chercher si elle est juste ou fausse-, cette nouvelle focale, dans un objet que chacun pourra utiliser à son tour. Je suis en train de placer l'envie de faire un cadeau dans un simple bâton. Je peux le donner provisoirement à n'importe qui. "Le bâton avec lequel on se sent "comme si" on était prêt à faire un cadeau".
  • Je pourrais créer moi aussi des objets magiques, dit Alice ? Cela pourrait aider les autres mais aussi moi-même à dépasser nos peurs, nos croyances et nos jugements. Une fois que l'on a atteint ce changement de perception, tout semble simple et les solutions semblent arriver d'elles-mêmes.
  • Oui !
  • Et tout le monde peut ?
  • Oui je vais te le monter !

Et d'un claquement de doigts Claire transporta l'atelier dans une pièce remplie de monde. Celle-ci se trouvait dans une ville nommée Brest. Claire proposa alors à tous ceux qui étaient là de fabriquer à leur tour des objets magiques.

L'atelier des objets magiques

Claire et Jean-Michel racontèrent à ceux qui étaient présents ce qui s'était passé et leur proposèrent de construire ensemble de nouveaux outils magiques.

  • A vous de jouer ! Je vous propose de vous rassembler par petit groupe et de suivre les trois étapes de fabrication d'un objet magique qui change notre perception.
  • Tout d'abord collectez chez un des membres du groupe une petite expérience irréversible où une difficulté a pu être surmontée
  • Puis essayez tous ensemble de trouver ce qui a permis ce changement non pas dans ce qui a été fait (ce qui n'est qu'une conséquence) mais dans une focale particulière, était-ce parce que vous aviez un engagement comme moi lors de la formation, parce que vous avez vu les choses avec une approche particulière comme pour le miroir où on se voit "comme si on n'avait pas peur" (ce qui est différent de se "croire sans peur"), ou encore avec le monocle à Doudou. Posez vous la question "et si je…"
  • Et enfin placez cette nouvelle perception imaginaire dans un objet que vous rendrez ainsi magique.

Les personnes qui se trouvaient dans l'atelier se rassemblèrent en petit groupe et créèrent ainsi en trois étapes des objets magiques. Puis ils présentèrent aux autres le résultat de leurs fabrications collectives et comment ils transforment nos perceptions pour nous aider à dépasser nos croyances, nos peurs et nos jugements pour faire émerger naturellement des solutions pour coopérer ensemble.

Parmi les nouveaux objets qui remplissait la magitothèque se trouvaient :

  • "Une balle de mousse qui fait "comme si" tout le monde était bienveillant autour de nous", même si on ne sait pas à l'avance si notre auditoire est bienveillant ou non, cette boule qui fait "comme si" nous permet de surmonter notre peur de parler en public et même, puisque la bienveillance développe la bienveillance, d'être nous-même bienveillant (par ce que l'on pense les autres bienveillants) et de développer ainsi la bienveillance de l'auditoire…
  • "Un dictionnaire de langues" pour percevoir l'autre comme quelqu'un dont on ne comprend pas sa langue mais qui dit des choses probablement très intéressantes ;
  • Et dans un thème similaire "une langue de chat" qui nous fait parler une autre langue et ne plus comprendre la langue de l'autre et notre propre langue. Il nous faut alors utiliser d'autres modes de communication que le langage verbal (créée à partir d'une expérience où en arrivant dans un pays dont on il parlait pas la langue, un participant à dû utiliser d'autres modes de communication ainsi que la bienveillance et a ainsi pu dépasser de nombreux problèmes) ;
  • "Une machine à coudre pour surpiquer plusieurs fois la réalité" et ainsi avoir plusieurs fois la même expérience et pour réagir mieux que la première fois… dès la première fois (un peu comme si la réalité bégayait et nous laissait de nouvelles chances) :
  • "La toupie de je lance", elle transforme les choses statiques avec lesquelles nous ne sommes pas à l'aise (par exemple "l'entreprise") en un verbe qui utilise notre propre énergie ("j'entreprends") ;
  • "Une orange bien mûre qui a reçu du soleil et nous donne son jus "comme si" cela nous donnait de la confiance" et permet ainsi d'exprimer son besoin dans un groupe sans le dire de façon tendue et donc maladroite par peur de donner son avis et sans rester frustré de ne pas prendre en compte son besoin ;
  • Et dans le même domaine "une chaise pour rester assis comme si on était stable et que l'on avait confiance en soi" face à quelqu'un qui pourrait nous déstabiliser ;
  • "Un mini vélo avec une selle très haute pour y mettre (haut perché mais de façon amusante) les personnes qui nous intimident" que l'on pourrait classer dans la famille des "monocles à doudoux" ;
  • "Une boule de pétanque du comme si ce n'était pas grave" qui si on la lance dans un ensemble de boules de pétanques, les font s'effondrer et… ça ne change rien à la vie…
  • "un jeton gagnant" qui nous permet dans une situation d'avoir toujours quelque chose à gagner (Nelson Mandela devait en posséder un quand il a dit : "je ne perds jamais, soit je réussis soit j'apprends…")

Chacun pu emporter un ou deux objets qu'ils avaient contribués à créer, qui se trouvaient déjà dans la magitothèque ou encore qui avaient été fabriqués par les autres groupes. Et comme dans toute bonne magitothèque, tous les objets qu'ils emportèrent se trouvaient malgré tout toujours présents sur l'étagère !

Final

Alice ressortit de la maison au fond des bois et pris le chemin du retour. Autour d'elle se trouvait la foule des personnes qui avaient été avec elles dans l'atelier de fabrication des objets magiques. Chacun repartait dans sa direction, les bras chargés d'objets, comme si un simple objet imaginaire et même invisible pouvait changer notre perception.

Comme si notre changement de perception sans plus s'inquiéter de savoir s'il reflète ou non complètement la réalité, pouvait nous permettre de dépasser nos peurs, nos croyances et nos jugements pour faire ce que nous n'avons jamais pu faire auparavant.

Pour faire une "petite expérience irréversible".

"Et si je"… tentais le coup ?

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Notes

  1. "l'homme est la seule espèce qui aime raconter des histoires", Pascal Picq, Premier homme, Flammarion jeunesse 2017
  2. Daniel Kahneman, Système 1 système 2 : les deux vitesses de la pensée, Flammarion 2012
  3. On parle de biais de négativité en psychologie
  4. On parle de dissonance cognitive
  5. A. Aarne, S. Thompson, H.-J. Üther, The Types of International Folktales, a classification and bibliography, 3 volumes, Academia Scientiarum Fennica, Helsinky, 2004